Si il y a bien un poste ou un numéro de maillot qui est devenu culte et mythique dans le monde du football, c’est bien celui du numéro 10. Maradona, Pelé, Zidane, Platini, Zico, Baggio et pleins d’autres, tant de joueurs qui ont fait rêver la planète foot. Mais depuis le début du 21e siècle, on observe une disparition de ce type de joueurs, alors qu’il était en plein essor durant les années 80 et 90. Un processus qui a commencé par petite touche et a été proche de suivre le même chemin que celui du libéro, c’est-à-dire la disparition pure et dure.
C’est quoi un numéro 10?
Et non, ce n’est pas qu’un simple numéro, sinon ça serait beaucoup trop simple et on en ferait pas tout un article. Gignac le portait derrière son dos durant l’Euro, est-ce que cela veut dire qu’il est un 10 ? Absolument pas. Le n°10 est un meneur de jeu, le joueur le plus créatif de l’équipe, le chef d’orchestre. C’est lui qui rythme le tempo, la circulation du ballon en phase offensive. C’est lui qui crée la différence dans les 30 derniers mètres. Avec une excellente lecture du jeu, il est souvent le premier à voir les lignes de passe et distille des caviars pour les attaquants, les mettant dans les meilleures conditions pour inscrire le but.
Il se positionne entre la ligne du milieu et d’attaque, ce qui le rend redoutable. Il joue entre les lignes, il est donc libre et particulièrement gênant pour une équipe jouant avec une ligne défensive et de l’entrejeu “à plat”. Cette position lui permet de marquer énormément de but, comme ce fut le cas pour Baggio, Platini ou Zico qui enchaînaient les saisons à plus de 15 ou 20 buts. Dernier point fort, c’est sa qualité technique. Très souvent, il est le maestro, le joueur avec le plus de facilité balle au pied. A l’arrêt ou en mouvement, il est souvent déroutant et lui retirer est quasi impossible, à l’image d’un Maradona, Zidane ou Riquelme.
Son positionnement
- Le 4-2-4
Il est très difficile de dater l’apparition de ce type de joueur. Mais beaucoup d’observateurs sont d’accord sur un seul nom, celui de Pelé. La légende brésilienne est d’ailleurs l’emblème de ce sport et également le premier a avoir popularisé le numéro 10, avec ce légendaire maillot jaune brésilien. Lors de la Coupe du Monde 1970, le Brésil joue en 4-2-4 avec 4 meneurs de jeu sur le terrain : Pelé, Tostào, Rivelino et Gerson (même si c’est un peu moins le cas pour ce dernier). Cette équipe est resté dans l’histoire par sa qualité de passe et son intelligence de jeu, tout cela représenté par le fabuleux but de Carlos Alberto (RIP) en finale face à l’Italie.
- Le 3-5-2 et ses dérivés
Mais c’est durant les années 80 et au début des années 90 que le poste arrive à son âge d’or. Une pléthore de trequeristi, qui en font le poste le plus important et le début de la mythification de cette race à part. Le grand joueur de ces eighties, c’était bien entendu Maradona. Souvent considéré comme un attaquant, il était pourtant le meneur de jeu de cette Argentine victorieuse à la surprise générale du mondial 86. Dans un 3-5-2 créé par Bilardo pour l’occasion (on en reparlera dans une autre chronique), cette tactique a permis à El Pibe de Oro d’être complètement libre, jouant entre les lignes et devant lui, un goleador nommé Valdano. Avec un système défensif tellement compact qui lui permettait surtout de négliger les tâches offensives.
Autre grand joueur de cette décennie, Michel Platini évoluait lui dans un dérivé du 3-5-2, le 3-4-1-2, sous l’ère Trappatoni. Derrière deux attaquants, Rossi et Boniek, il était en position idéale pour marquer (grande spécialité du français) et distiller de magnifiques assistes à ses compères d’attaque. Son duo avec le Polonais est d’ailleurs encore reconnu aujourd’hui comme l’une des meilleurs ententes de l’histoire du football.
Marcelo Lippi utilisa le même dispositif pour mettre en évidence un autre meneur de jeu français, Zinedine Zidane. Un 3-4-1-2 qui a permis à la Juve de remporter deux Serie A et participer à deux finales de Ligue des Champions consécutives.
- Le 4-3-1-2
Plus souvent appelé le 4-4-2 losange, qu’on pourrait renommer par « Argentina Tactics ». Car durant la fin des années 90 jusqu’au début des années 2000, cette formation était devenue la norme dans le pays. Nation du numéro 10, ils ont longtemps cherché le système parfait pour mettre en valeur ce joueur qu’ils considéraient comme un joyau. Aimar, Veron, Gallardo ou encore Ortega, tant de joueurs qu’il a fallu caser et mettre dans la position la plus propice pour faire briller leur talent. En club, le Boca Juniors avait créé une véritable dynastie de terreur au début du 21e siècle sur le continent sud-américain. Les joueurs de Carlos Bianchi ont remporté trois Copa Libertadores et deux championnats d’Argentine, tout cela en l’espace de quatre années. Mais les plus grands exploits du coach argentin, ce fût ses deux succès en Coupe Intercontinental face au Real Madrid en 2000 et au Milan AC en 2002. Face aux madrilènes, Boca donna une gifle au football européen avec notamment une performance magnifique de Riquelme. Ce dernier était le maestro de ce 4-4-2 en losange où il régala de caviar le fantasque Martin Palermo, joueur qui est maintenant devenu le meilleur buteur de l’histoire du club, un hasard ?
- Le 4-2-3-1
Sûrement la formation la plus utilisée actuellement pour mettre en valeur un meneur de jeu. Jouant derrière un attaquant seul en pointe, il est accompagné de deux ailiers qui rentrent dans l’axe et un double pivot dans son dos pour garder un équilibre défensif au milieu. Même s’il ne joue pas avec deux attaquants centraux, comme le préfère la majorité des numéros 10, il reste tout de même en bonne position et peut profiter d’un attaquant pivot qui fixe la défense pour pouvoir inscrire quelques buts. La formation mise en place par Arsène Wenger avec Arsenal a été un succès pour mettre en valeur les qualités de passeurs de Mesut Özil. Avec plus de 19 caviars distribués en Premier League lors de la saison 2015-2016, il a été d’un niveau jamais égalé durant de nombreux mois avant de baisser en régime après le Boxing Day, comme une grande partie de l’effectif des Gunners. Un classique…
Pourquoi ne sont-ils plus à la mode
- L’arrivée de la sentinelle et du 4-4-2
Par son positionnement entre les lignes et derrière les attaquants, le n°10 était un calvaire à défendre. Mais les coachs ont trouvé la solution pour diminuer son impact, l’instauration d’un joueur hargneux, robuste et qui le suivra à la trace. Le milieu récupérateur, la sentinelle devant la défense. Un poste symbolisé par un nom, un joueur : Claude Makelele. Même si le statut réservé par les défenses n’ont jamais été tendre pour les Diez, ils n’ont plus eu aucune seconde de répit avec un joueur en marquage individuel durant 90 minutes.
Avec en plus de cela l’arrivée du 4-4-2 à plat de Sacchi durant les années 90, avec aucun joueur entre les lignes, les 10 ont dû s’expatrier sur les côtes pour pouvoir briller et trouver de l’espace. Dans le 4-4-2 du Real des années 2000, Zidane jouait milieu gauche et rentrait avec son pied droit pour trouver les lignes de passe. Baggio a été sacrifié par tous les grands clubs où il est passé et la Nazionale. Beaucoup de meneurs de jeu sont devenus des 9 et demi, comme Rivaldo, Totti ou Kakà. Une fois mis en pointe, une autrefois sur un côté, le 10 s’est expatrié et a perdu sa place dominante dans le centre du jeu.
- La métamorphose Pirlo et le pressing haut
Alors qu’il était un numéro 10 de grand talent, Andrea Pirlo n’arrivait pas à s’adapter au sein de l’Inter et a été transféré au Milan. Carlo Ancelotti croit en lui et décide de le placer juste devant la défense, au poste de n°6 où joue habituellement la sentinelle. Dans cette position, l’Italien va briller par sa qualité de passe et permettra de passer les premiers rideaux du pressing adverse. Car la grande différence entre le football du 20e et 21e siècles, c’est le pressing. Les qualités physiques des joueurs se sont améliorés, l’intensité est devenue bien plus forte et avec la fin du marquage individuel, le pressing haut est devenu une norme pour récupérer le ballon le plus haut possible.
“Avant qu’Ancelotti me place devant la défense, c’était un poste que seuls les joueurs à vocation défensive occupaient. A partir du moment où j’ai commencé à jouer en pivot, il y a eu un changement de tendance. On a démontré qu’on pouvait gagner sans cynisme”, Andrea Pirlo.
Alors que la tendance est de mettre un « destructeur » à cette position, les coachs en réaction ont décidé de faire jouer leur numéro 10 plus bas, pour construire le jeu dès la relance. L’avènement des Busquets, Modric ou Verratti. Ce genre de joueur dans les années 80 ou 90 aurait joué beaucoup plus haut. Durant cette période, seuls deux joueurs du même type ont joué à cette position : Guardiola et Redondo. Il n’est donc pas étonnant qu’au Real ou au Barça, il est impensable de voir une sentinelle devant la défense. On comprend mieux les difficultés de Gravesen, Keita et Song ou encore le départ forcé de Makelele. Le jeu maintenant se crée plus bas, plus forcément à l’abord de la surface et le n°6 moderne a pris la place du n°10 à l’ancienne.
- La fin des privilèges et la génération El Fenomeno
Dans un football devenu bien plus strict tactiquement, peu de joueurs peuvent encore sécher les taches défensives sous risque de mettre leur équipe en difficulté. Le meneur de jeu a toujours été ce joueur qui ne faisait aucun effort défensif, seulement quand il avait la possession du ballon. Pour qu’également le joueur soit à l’aise, il faut que l’équipe joue pour lui, qu’il soit au centre du système offensif de l’équipe. Dans le foot moderne, il est quasiment devenu impossible de faire cela.
“Tu fais quoi quand il est blessé ? Et quand il est en méforme ? Il n’existe pas deux Riquelme. Or si ton système est basé sur Riquelme, tu es foutu”, Ricardo La Volpe, ancien coach du Mexique et de Boca Juniors.
Avec plus de 50 matchs par saison pour certaines équipes, il n’est pas faisable de donner les clés de l’équipe à un seul joueur, risquant de mettre son équipe en péril en cas de méforme ou de blessure. Sans oublier que celui-ci ne presse pas et pousse ses coéquipiers à faire deux fois plus d’effort au niveau du pressing. Le meneur de jeu lent à l’ancienne ne peut survivre maintenant qu’en jouant plus bas. Autres choses que beaucoup de monde oublient, c’est qu’il est impossible de former un numéro 10. A l’inverse d’un buteur, d’un stoppeur ou d’un ailier, on ne crée pas de Trequerista dans un centre de formation.
“C’est quoi les postes clés ? Un bon gardien, stoppeur et attaquant. Beaucoup de coachs préfèrent se passer de 10, d’ailleurs on n’en forme pas car on en n’a pas besoin”, Safet Susic, ancien meneur de jeu du PSG
Et la suite ?
Pour finir, est-ce que le numéro 10 à l’ancienne va-t-il disparaître du football ? Non ! Durant de longues années, la vie a été dure pour ses joueurs surtout dans un système comme le 4-3-3 où il n’a pas sa place. Mais le football évolue tellement vite qu’il ne faut jamais dire jamais. Ceux-ci pourraient revenir à la mode sans qu’on puisse le prédire, comme le retour en force de la défense à 3. La planète foot regorge encore d’énormément de 10 de grands talents comme Javier Pastore, Özil, James Rodriguez, Ganso, Franco Vazquez, Isco ou encore Bernado Silva. On terminera cette chronique par une citation de Michel, une analyse parfaite sur la situation actuelle du 10 et son future.
“Le 10 à l’ancienne a disparu, mais il existe toujours. C’est un numéro éternel qui traverse le temps. Pour moi, les 9 et demi et les Xavi, ce sont des 10, parce qu’ils ont le match dans leur tête et la qualité nécessaire pour faire des passes décisives et donner du sens collectif. Les anciens 10 étaient des joueurs plus fantasque, mais c’est tout. Le gros point commun, c’est qu’ils auraient pu jouer dans n’importe quelle époque”, Michel, ancien joueur du Real Madrid et ancien coach de l’OM.